L’EHPAD, nouvel acteur du handicap
05/03/2015

L’EHPAD, nouvel acteur du handicap
C’est un fait, les personnes handicapées, y compris celles atteintes de polypathologies, connaissent aujourd’hui, comme le reste des Français, une augmentation spectaculaire de leur espérance de vie. Mais cette avancée notoire est obscurcie par un problème de taille : les pouvoirs publics n’avaient pas anticipé le phénomène, si bien que l’Hexagone accuse aujourd’hui un retard important en matière d’accompagnement des personnes handicapées vieillissantes. Quel rôle les Ehpad doivent-ils jouer ? Quel modèle de prise en charge adopter ?

Parce que leur longévité grandissante n’a pas été suffisamment anticipée et que le phénomène est encore mal identifié ; parce que les personnes handicapées vieillissantes subissent une double peine, l’avancée en âge s’ajoutant aux difficultés liées au handicap ; parce que, parallèlement, l’espérance de vie des personnes handicapées « croît trois fois plus vite que celle d’une personne qui ne l’est pas », dixit Pascal Jacob, auteur, en avril dernier, d’un rapport sur l’accès aux soins des personnes en situation de handicap : pour toutes ces raisons, explique celui qui est aussi président de l’association I=MC², « la personne handicapée vit à l’état de personne âgée beaucoup plus longtemps et a donc besoin d’une aide ou d’un accompagnement tout à fait spécifiques ».

Et si « le handicap ne prend pas sa retraite », répètent, à raison, les associations qui défendent les droits des handicapés, le champ du handicap, pourtant très structuré, n’a que tardivement pris la mesure du vieillissement et n’a pas toujours les moyens d’accueillir ce public. Les Ehpad, quant à eux, ne sont pas forcément préparés aux particularités du handicap. Surtout, en l’absence de politique publique claire, ils ne peuvent investir ce secteur qu’en répondant à des appels à projets, lesquels ne sont pas légion en ces temps de disette économique et du tout domicile.
Pourtant, les spécialistes de la dépendance ont un rôle à jouer, ce que certains ont déjà bien compris, et sont susceptibles d’être pris en exemple, estime Patrick Gohet, mandaté par la ministre déléguée aux Personnes handicapées et par son homologue chargée des Personnes âgées, pour plancher sur l’avancée en âge des personnes handicapées.

Des Ehpad précurseurs…

En attendant que les pouvoirs publics tranchent, les professionnels, eux, s’organisent. Sur le terrain, les directeurs d’Ehpad précurseurs tirent des enseignements intéressants de ces expériences innovantes. C’est le cas de Valérie Doury, directrice de l’Ehpad Bernard de Laplanche à Millay, en Bourgogne, qui a créé le Domaine de la Vigne où sont accueillis des personnes handicapées vieillissantes et « leurs parents ou amis ». Cet habitat intermédiaire allie la spécialisation de l’Ehpad, qui prend en charge les besoins d’assistance liés à l’âge (soins, surveillance de l’observance des traitements, télésécurité, portage de repas…) et le savoir-faire éducatif d’Adsean, une association spécialisée dans le domaine du handicap qui accompagne les personnes handicapées dans leur vie sociale et médico-psychologique (développement personnel, maintien des acquis, activités…).
Cependant, ce genre d’initiative, pourtant riche pour les personnels ainsi que les résidents, n’est pas sans complications. D’abord parce que se pose la question de la cohabitation entre deux générations aux parcours institutionnels différents. Avec une intégration en établissement de plus en plus tardive (la moyenne d’âge des résidents est d’environ 85 ans), les personnes âgées entrent souvent en Ehpad avec un projet de fin de vie qui s’oppose au projet de vie à l’accent plutôt éducatif des personnes handicapées, ­lesquelles arrivent plutôt en structure à 60 ans. Surtout, les deux publics nécessitent deux prises en charge totalement différentes. D’autant qu’à cela, s’ajoutent des phénomènes de rejet et de discrimination, témoigne Valérie Doury : « Il a fallu convaincre les familles des résidents âgés. Ils nous disaient : pourquoi mélangez-vous des fous avec nos parents ? ».

Faut-il, dans ces conditions, former les personnels des Ehpad aux particularités du handicap ? Sur le sujet, les spécialistes du handicap sont partagés. Si, pour Dominique Perriot, directeur de l’Institut Val Saint-Mandé (94) , qui accueille des publics handicapés jeunes et adultes, « il suffit de mettre en place des échanges avec des instituts spécialisés » pour acquérir de telles compétences, il y a, d’après Jean-Louis Garcia, Président de l’Association pour adultes et jeunes handicapés (Apajh), « un véritable travail à faire avec les professionnels pour qu’ils comprennent bien ce qu’est le champ du handicap afin d’éviter la maltraitance institutionnelle vis-à-vis de tous les résidents ». D’autres enfin, comme Thierry Nouvel, Président de l’Association départementale de parents et amis de personnes handicapées mentales (Adapei), ne « privilégient » pas la solution de l’Ehpad, car « cela ne vise pas les mêmes compétences » même si « des mutualisations sont possibles ». Pascal Jacob déplore quant à lui que si les bonnes idées existent, elles ne soient ni théorisées en tant que bonnes pratiques ni diffusées dans le cadre de la formation initiale et continue.

Nombreuses sont, finalement, les solutions qui existent déjà (Hospitalisation à domicile – HAD, habitat handi-citoyen) ainsi que les initiatives innovantes qui fleurissent ici et là (unités spécialisées en Foyer d’accueil médicalisé – Fam, Ehpad au public mixte, Ehpad pour personnes handicapées, accueil d’enfants handicapés vieillissants et de leurs parents, extension des compétences de l’Établissement et service d’aide par le travail – Esat, Maison d’accueil rurale pour personnes âgées -Marpa etc.). Nombreux sont également les spécialistes du handicap qui estiment que les Ehpad ont effectivement un rôle à jouer dans l’accompagnement des personnes handicapées vieillissantes. Et, même si les obstacles et les inconnues qui compliquent la tâche des professionnels sont multiples, bien des directeurs sont conquis par la richesse et le défi que représentent ces projets. D’autant que, finalement, comme le souligne Pascal Jacob, « le handicap est aujourd’hui l’éclaireur de ce qui va passer en 2050, quand plus d’un tiers de la population aura plus de 65 ans »…

Quelques précieux conseils avant de se lancer

– Il convient tout d’abord d’être capable d’accueillir le public handicapé vieillissant, ce qui nécessite de disposer des équipements et d’une architecture adéquats mais également de proposer un accompagnement adapté à chaque type de handicap. « Par exemple, explique Pascal Jacob, il faut savoir parler avec quelqu’un qui ne parle pas, connaître la langue des signes pour les personnes malentendantes etc. »
– Il est aussi recommandé de se faire connaître du secteur médico-social et du handicap, notamment des Maisons départementales des personnes handicapées (MDPH).
– Outre les capacités techniques, encore faut-il valider la viabilité économique du projet : ainsi convient-t-il de prendre contact avec l’Agence régionale de santé et le Conseil régional en fonction du projet que l’on souhaite développer. En sachant toutefois que ce genre d’initiative ne fait, pour l’heure, que l’objet d’appels à projets.
– Dans le cas de la création d’un foyer de vie au sein d’un Ehpad, il s’agira de gérer deux budgets distincts avec deux financements différents (personnes âgées et personnes handicapées). La plupart du temps, les moyens financiers et en matière d’encadrement accordés par les pouvoirs publics sont plus avantageux dans le champ du handicap.
– Du point de vue managérial, il est préconisé de préparer le projet en amont avec les équipes et les résidents de l’Ehpad, via le Conseil de vie sociale, afin de le faire accepter, en particulier ce qui a trait à la différence et à la vie au quotidien avec des personnes handicapées.

Barrière de l’âge : le serpent de mer du médico-social

Le système d’aide sociale français distingue aujourd’hui deux catégories : les personnes handicapées jusqu’à 60 ans et au-delà, les personnes âgées. Cette distinction induit une différence de statut à l’heure de la retraite, laquelle génère des inégalités et des risques de rupture dans la prise en charge des personnes déclarant leur handicap après 60 ans. Ces derniers dépendent alors du dispositif de l’Allocation personnalisée d’autonomie (Apa) et non pas de celui de la Prestation de compensation du handicap (PCH).
Or, « l’Apa est très insuffisante pour des personnes dont la pathologie entraîne d’importants besoins en aide humaine et technique mais aussi en matière d’aménagement du logement et de leur véhicule, lesquels ne sont pas couverts par ce dispositif », déplore, depuis plusieurs années, l’Association des paralysés de France (APF). L’APF milite en effet pour un droit universel à la compensation de la perte d’autonomie. Pourtant, l’article 13 de loi de 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées autorisait à supprimer, « dans un délai maximum de cinq ans, les dispositions de la présente loi opérant une distinction entre les personnes handicapées en fonction de critères d’âge en matière de compensation du handicap et de prise en charge des frais d’hébergement en établissements sociaux et médicosociaux ». Mais cette possibilité n’a toujours pas été activée. Et Michèle Delaunay n’a pas, pour l’heure, montré une quelconque volonté d’exhumer le cinquième risque dans le cadre de la future loi sur l’Autonomie…